POUR UNE ACTION EFFICACE: FAIRE "OEUVRE D'HOMME"
Elgar, 1959ko urtarrila
J'ai lu naguère un roman intitulé: "La meilleure part" de Philippe Saint-Gil. Sous la direction d'un tout jeune ingénieur, Christian Maréchal, des hommes travaillent à la construction d'un barrage à Ali-Médir en plein Atlas. Le héros du roman est précisément Christian lui-même, qui n'est pas un ingénieur comme les autres...; il n'a pas peur de mettre la main à la pâte. La compétence technique qu'il a acquise au prix de longues années d'études n'est pas pour lui prétexte à manifester un certain complexe de supériorité sur l'ouvrier. Pour lui, la vie est un combat qu'il faut mener courageusement jusqu'au but. La vie c'est-à-dire celle-là même de ses ouvriers avec qui il se débat dans les mêmes difficultés, partageant le même effort et assumant de plus lourdes responsabilités. C'est qu'il veut faire "oeuvre d'homme": c'est précisément ce en quoi il a choisi "la meilleure part". La Direction le rappelle à Paris pour faire une étude sur le Sénégal. Un matin, à 8 heures, quelqu'un frappe à sa porte. Un homme, "à la démarche pesante", pénètre dans le bureau: c'est Bernardini, l'ancien chef d'équipe avec qui Christian a débuté et appris "comment en faisait un joint, comment on lissait le béton"; il vient exprimer à Christian sa fierté d'avoir eu de tels élèves; lui, Christian et son fils, à qui il a appris à "tenir une truelle". Christian, dans un geste délicat, lui fait voir, une à une, les photos du travail entrepris et qui se poursuit à Ali-Médir. Le brave Bernardini de lui demander: "Ca continue en somme?". Alors Christian, releva la tête et rendit son sourire à Bernardini: "Oui, dit-il. Tu vois. Ça continue".
A l'époque la lecture de ce roman m'avait rofondément touché, peut-être à cause de la riche philosophie qui s'en dégage. "Embarqué" dans une existence qui le dépasse et qui en partie se déroule dans ce monde où sans cesse tout se crée et se transforme, l'homme progressivement découvre le sens même de sa solidarité avec les autres hommes. C'est que chaque homme découvre sa place dans l'existence et peu à peu il prend conscience du rôle qu'il a à emplir. Ainsi il se réalise lui-même et trouve l'épanouissement total de son être. Et il se réalise avec et en même temps que les autres hommes, en continuité avec ceux d'avant et aménageant la cité terrestre pour ceux qui viendront.
L'on comprend dès lors combien il est urgent de s'insérer dans la vie pour entrer en contact avec le réel; combien il importe de s'y engager pour pénétrer dans la profondeur des âmes et en découvrir les véritables dimensions d'une solidarité authentique. D'où nécessité d'ouvrir le dialogue, qui nous permettra de découvrir que nous sommes les uns et les autres en présence de problèmes similaires sinon identiques à affronter et à élucider; que nous nous débattons avec les mêmes difficultés qui appellent une solution résolue en commun. Tiraillés entre diverses tendances, nous sentons notre incapacité à trouver l'équilibre par nous-même et nous avons terriblement besoin des autres, malgré que nous ayons beaucoup de difficulté à l'admettre, peut-être parce que nous se le ressentons que trop bien!
Attitude d'ouverture aux autres pour les comprendre de façon réelle et pour l'être soi-même; pour collaborer ensemble à une oeuvre commune non plus à l'échelle uniquement régionale ou nationale, mais mondiale; travailler à faire sauter toutes ces barricades que dresse notre égoïsme foncier et qui nous séparent des autres, pour parvenir à une humanité ouverte. Une humanité ouverte, c'est-à-dire une humanité où tous les hommes se sentent chez-soi en confiance, sans crainte de suspicion. Une humamité ouverte, c'est-à-dire une humanité où chacun trouve ce qui lui manque pour parvenir à son propre épanouissement et où chacun donne à l'autre gratuitement ce qu'il a de meilleur.
Travailler à bâtir un barrage en dépensant toute son énergie, avec des hommes qui luttent avec les difficultés de vivre: c'est faire "oeuvre d'homme". Travailler à bâtir une humanité ouverte avec toute l'ardeur de sa foi, avec des hommes à la recherche de leur épanouissement total dans une étroite solidarité: c'est aussi faire "oeuvre d'homme" et c'est peut-être "la meilleure part".
A.E.E.